mardi 22 décembre 2009

Marcel Cremer a délaissé sa "grande prairie"

Je rentre d'Afrique et découvre la triste annonce du décès de Marcel Cremer. Même si les nouvelles pouvaient laisser entendre que son état ne s'améliorait pas, je savais qu'il continuait à travailler de toutes les forces qui lui restaient.


Cette nouvelle m'attriste profondément. Car si je le connaissais depuis longtemps à travers ses spectacles et nos rencontres fortuites en Belgique et à l'étranger, la préparation de son interview en janvier 2009 pour la collection "chemin des passions" et la publication de neuf de ses pièces en un seul volume nous avaient rapprochés davantage. Et j'avais pu apprécier l'homme, son univers, son parcours, son humour, sa tendresse, sa détermination, son regard philosophique sur la vie...

Mon émotion est grande, et j'aimerais que chacun se rende compte que si nous sommes quelques-uns aujourd'hui à pleurer un ami, c'est tout le théâtre belge (pour la jeunesse) qui vient de perdre un de ses grands artisans.

A Viola, à ses proches et à son équipe de l'AGORA Théâtre, je souhaite tout le courage possible pour dépasser cette cruelle absence et faire front pour poursuivre son oeuvre en sachant que sa forte personnalité sera toujours là pour les soutenir et pour les guider.

Que tous ceux qui le connaissaient aient une pensée pour lui ! Il restera ainsi bien vivant dans nos coeurs et nos esprits.

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Voici le dernier texte qu'il m'a adressé à la mi-novembre et que j'ai lu lors de la rencontre sur le théâtre pour adolescents à Namur dans le cadre du festival TURBULENCES.


Le partenaire inconnu


Lors de chaque représentation, le partenaire inconnu est le spectateur. Au  théâtre, je lui propose le "tu" et je commence à jouer. Je joue quelque chose pour lui. Je suis un pré-joueur. J'ai préparé un jeu. Si je n'ai rien préparé ou si je suis mal préparé, le jeu est voué à l'échec. Inévitablement.

Les règles du jeu doivent être connues. Ce sont les mêmes pour le théâtre pour enfants, pour adolescents et pour adultes. Il n'y a pas une esthétique propre au théâtre pour adolescents. Sur scène, je joue des êtres heureux ou malchanceux. Dans leurs rapports les uns avec les autres. Ils ont leur propre langage. Leur propres histoires. Ces êtres ont des points communs avec moi. Ils sont nés de ma biographie. Ils ne sont pas nés d'une intention pédagogique d'instruire le jeune ou de le convertir.
Le jeune n'est pas plus ni moins en danger qu'un enfant ou qu'un adulte. Il est aujourd'hui comme moi, quand j'avais autrefois le même âge que lui aujourd'hui. Simplement autrement, parce que le monde est autrement. Mais il se trouve toujours sur le seuil entre l'enfance et la vie d'adulte.

Il faut rentrer dans l'adolescence pour pouvoir sortir de l'enfance. Il faut sortir de l'adolescence pour pouvoir devenir adulte. L'adolescence est un espace intermédiaire. Un pays transitoire. Une zone tampon. Un "no-man's land". Un marais. Un champ de mines. Une "zone de la mort". Une parcelle de forêt obscure. Une zone frontière. Il n'y a pas de retour en arrière. On prend de l'élan. On saute. On attérit. Ce saut, c'est l'adolescence.Cela, chaque homme de théâtre doit le savoir s'il propose au jeune le "tu".


Marcel Cremer

2 commentaires:

fruchon a dit…

Merci Emile pour ce beau texte.
j'ai aussi appris la nouvelle aujourd'hui.
Je suis vraiment bouleversée.
Béatrice Fruchon (Carcassonne)

Béatrice Fruchon a dit…

je rajoute un poème que j'ai lu récemment, j'ai tout de suite pensé à Marcel en le lisant...
Le voici :

"le coeur est si fragile et le temps va si vite
ne vous retournez pas sur ce passant qui passe
il a déjà rejoint l'autre côté du monde
et, le chapeau tombé, galope dans la plaine
sur ce grand cheval bleu qui chasse les nuages
comme autrefois le fringant troupeau de voyelles
vers l'enclos d'un poème sans serrure ni porte
sinon ces deux yeux clairs, sinon ces mains plus longues
qu'un jour sans cavalier sur le plateau d'un roi"

C'est un poème de Guy Goffette
(le pêcheur d'eau)
Béatrice